Il était une fois une petite fille qui se baladait dans une forêt.
Cette forêt est sombre, et en même temps parsemée de lumières. Vous savez ces lumières magnifiques qui fendent entre les branches, qui renvoient de beaux reflets sur les feuilles et la mousse. Qui font ressortir de belles couleurs. Des teintes de verts différents.
Elle sait voir toute cette beauté cette petite fille. Elle l’aime sa forêt. Elle aime s’y balader et observer tous ces petits détails. Le visuel. Mais l’auditif aussi. Ah les sons. L’eau qui coule. Le régulier irrégulier. Le vent dans les feuilles. Des graves, des aigus.
Elle voit tout ça. Elle connaît tout ça. Des jours c’est facile à voir. Des jours il faut faire un effort pour le voir.
Et des jours… elle n’y arrive simplement pas. Ces jours-là c’est la noirceur de la forêt qui prend le dessus. La peur l’envahit alors. Et une petite fille apeurée dans une sombre forêt, elle se pétrifie. Elle ne peut plus réfléchir, ni ressentir. Elle ne sait pas qu’elle connaît le chemin pour en sortir. Elle ne sait plus regarder les beaux reflets sur les feuilles. Elle ne sait plus ? elle ne peut plus.
Elle a le droit de ne plus savoir faire des fois. D’être désemparée. Elle est humaine cette petite fille.
Ces jours de noirceur, elle se sent seule aussi. Seule parce que personne ne peut la comprendre. Personne ne peut la retrouver. Elle est perdue. Elle seule sait où elle est mais elle-même ne sait pas où elle est. (ou aller)
Comment passe-t-elle d’un état à un autre ? comment parvient-elle à retrouver de la force, de la confiance, et à voir à nouveau les beaux reflets sur les feuilles. Et les gouttes d’eau qui ruissèlent. Et à entendre à nouveau les clapotis de l’eau. Car pendant ces moments de noirceur, elle est sourde et aveugle. Elle n’entend plus rien. Seulement les reproches qu’elle se fait à elle-même. Les voix qui lui disent qu’elle ne parviendra jamais à sortir de cette forêt. La peur, l’angoisse, qui la paralysent.
Alors comment fait-elle ? des fois, elle ne sait pas. Elle se couche juste au pied d’un arbre. Elle pleure parfois. Mais pas toujours. Et elle attend. Elle attend que ça passe. Que le temps passe. Que l’angoisse retombe. Que la lumière revienne. Et elle revient toujours. Parfois l’attente est longue, parfois moins.
Des fois, elle se force à voir les gens qui se baladent dans la forêt. Hé oui, il y a d’autres gens dans cette forêt. Bien souvent elle ne les voit pas, parce que les autres lui font peur. Elle se cache. Parce que s’ils la voient, ils vont savoir qu’elle est perdue, ils vont se moquer d’elle, et surtout ils vont partir en courant, parce que sa peur leur fait peur.
Mais des fois elle se force à les voir, à les entendre. Alors elle peut faire semblant qu’elle n’est pas perdue. Ou alors même des fois elle peut se permettre de leur avouer qu’elle est perdue. Qu’elle a peur, mais qu’elle ne sait pas pourquoi. Qu’elle sait que les beaux reflets sur les feuilles sont là, mais qu’elles ne les voient plus. Elle ouvre un peu sa bulle, sa carapace, sa protection, mais elle est toujours prête à vite vite la refermer au cas où, bien sûr. Elle sait se protéger cette petite fille.
Parfois, elle découvre que les autres gens qui se baladent eux aussi parfois sont aveugles et sourds. Eux aussi parfois ils ont peur. Ça ne veut pas dire pour autant qu’ils peuvent la comprendre, parce que de toute façon personne ne pourra jamais la comprendre. Elle est tellement perdue, et la noirceur est tellement noire, que personne ne peut comprendre cela. C’est pour ça que c’est dangereux de la montrer. Parce que si les gens ne comprennent pas, ils vont partir en courant.
Alors ces autres, ces passants, ils lui apportent des choses à la petite fille. Hé bien il semblerait que oui. Parce que, chacun à leur manière, en s’arrêtant auprès d’elle – ils s’arrêtent plus ou moins longtemps, il n’y a pas de règles – lui donne un petit quelque choses pour voir à nouveau les beaux reflets des feuilles. Certains détournent son attention, d’autres écoutent ses peurs, chacun a sa technique, et surtout ces moments. Y en a des fois qui n’ont pas le temps de s’arrêter. Y en a parfois qui aimeraient bien, mais ils ne s’en sentent pas capable. Peut-être parce qu’ils ont peur de la peur de la petite fille, ou peut-être pour d’autres raisons qui leur appartiennent ? Sûrement d’ailleurs.
Toute seule, la petite fille elle a la capacité de retrouver le chemin qui lui montre à nouveau les beaux reflets des feuilles. Mais c’est éprouvant de retrouver son chemin tout seul. Parfois marcher auprès d’un autre voyageur ça rassure. On peut se reposer sur lui, sur son sens de l’orientation, c’est pas qu’on est n’est pas capable de le faire, c’est qu’on se préserve. On se préserve l’effort de le faire. Cette petite fille n’a pas appris à se préserver. Elle pense qu’il faut toujours faire des efforts. Et surtout se débrouiller toute seule. Et pas demander d’aide aux passants, parce qu’ils pourraient lui indiquer un mauvais chemin.
Mais cette petite fille commence à grandir.
En grandissant elle apprend à retrouver son chemin toute seule.
Mais elle apprend également à demander son chemin parfois. Ou juste demander de pouvoir s’arrêter quelques instants. Se reposer. Boire un chocolat chaud, le temps que sa vue et son ouïe se réadaptent, se réparent, et qu’elle puisse à nouveau voir les reflets sur les feuilles et entendre la rivière qui coule.
Y a-t-il d’autres personnages dans cette forêt ?
Y a-t-il plusieurs sentiers ?
Où mènent-ils ?
Devrait-elle se poser toutes ces questions. Ou juste continuer simplement sa balade, en profitant de chaque reflet sur chaque feuille. Et quand elle ne voit plus les reflets ?
Peut-être pourrait-elle crier ? on a le droit de crier dans une forêt. « youhou ??!! quelqu’un a-t-il vu les reflets sur les feuilles ? je ne les vois plus ! ». « au secours », c’est dangereux de dire « au secours », parce qu’on montre qu’on est vulnérable. La petite fille ne préfère pas montrer qu’elle est vulnérable, parce que c’est dangereux, la forêt pourrait en profiter, non pas la forêt en fait, plutôt quelqu’un. Quelqu’un de malveillant. Alors parfois elle fait croire qu’elle les voit les reflets sur les feuilles, pour être sûre de n’attirer l’attention de personne qui voudrait profiter de sa vulnérabilité.
Bon admettons qu’elle décide de crier. De demander de l’aide.
Oui « au secours », « j’ai besoin d’aide, mais j’ai aussi la capacité de les voir toute seule les reflets sur les feuilles. C’est juste que si quelqu’un voulait bien me montrer comment lui il fait pour les trouver ça pourrait peut-être m’aider. Mais j’en suis aussi capable toute seule, jte frais dire ! tu ne m’es pas indispensable. Je peux survivre dans ma forêt toute seule ».
Mais si on fait toujours, en permanence, semblant de les voir les reflets sur les feuilles, à un moment on va oublier comment ils sont vraiment ? ou on va oublier la joie que c’est de les re-découvrir à nouveau. A chaque fois elle les redécouvre. Ils sont toujours un peu différents. La manière dont les rayons du soleil pénètrent dans la forêt n’est jamais la même à chaque fois. C’est beau de la redécouvrir à chaque fois.
Elle a plein de questions dans la tête cette petite fille. De jugement. Et de peur. Tellement qu’elle n’a plus de place pour les émotions dans son cœur et dans son corps.
Enfin, c’est tout mélangé.
Ou tout est remonté là-haut. Là-haut. Dans la tête. C’est moins vulnérable qu’un corps une tête. Personne ne peut y rentrer. Personne ne peut y voir ce qu’il se passe vraiment.
Personne ne peut y rentrer, pas sûr en fait. Si personne ne peut. Mais des idées peuvent. Des idées noires. Des idées de noirceur. Ca ça peut rentrer dans une tête, et prendre toute la place.
Elle sait demander aux passants de s’arrêter. Mais ce qui fait peur c’est qu’elle ne sait jamais combien de temps ils vont rester arrêtés. Combien de temps vont-ils supporter d’être arrêtés à côté d’elle ? à côté de sa noirceur et de sa peur. Ils pourraient partir à tout moment. Alors parfois c’est la petite fille qui part en courant. Comme ça elle est sûre qu’ils ne le feront pas avant elle. Parce que s’ils le faisaient avant elle, …, parce que s’ils le faisaient avant elle, et bien, heu, en souffrirait-elle ? la petite fille oui en souffrirait.
Mais cette petite fille est dans un corps d’adulte maintenant.
Une adulte qui sait profiter des reflets des feuilles.
Peut-être que si les gens partent en courant ce n’est pas à cause de la petite fille.
Décembre 2015
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