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Photo du rédacteurjulia speaks

TYRAN

J’ai grandi avec un tyran.

Un dictateur m’a élevé.

C’est lui qui choisissait tout, tout le temps.

Quand il voulait regarder un film, il choisissait quel film. Qu’il puisse plaire aux autres ou non, cela ne lui importait pas.

Lorsqu’il voulait me toucher il le faisait, que cela soit inapproprié de toucher un enfant de cette manière ne lui importait pas.

J’ai grandi en pensant que je n’avais aucune importance.

Ce que je pensais ou ressentais n’avait aucune valeur.

J’ai été élevé par un tyran.

Définitions :

Le tyran désigne celui qui, après s'être emparé illégalement du pouvoir par la force, exerce son pouvoir de manière absolue, oppressive. Personne excessivement autoritaire qui abuse de son pouvoir.

Dictateur : Personne autoritaire qui impose son point de vue et sa manière de vivre aux autres ; tyran, despote.

Expression extrême du patriarcat.

Voilà j’ai donc grandi dans une dictature. Dans la propagande. J’ai cru que c’était la seule chose qui existait.

Vers 13 ans, alors que je suis chez des amis, je prends conscience que le respect d’un adulte envers un enfant est possible. Je ne le savais pas. Je pensais qu’il était normal qu’un adulte traite un enfant comme une grosse merde, comme un inférieur, et lui impose tous ses désirs.

Cet homme, qui m’a « élevée », m’a détruite. J’ai été détruite avant même d’être construite.

Il m’a léché quand il le voulait, il m’a touché quand il le voulait, il me terrifiait, je n’avais aucun pouvoir, aucune confiance que cela puisse s’arrêter,

et par dessus tout, j’étais persuadée que je le méritais. Si mon père me fait ça c’est que c’est normal, c’est que c’est ce à quoi je sers.

Je ne vaux rien.

Je ne suis qu’un objet pour lui.

Je ne suis donc qu’un objet.

Je n’ai pas d’avis, je n’ai pas d’envie, je ne suis qu’une coquille vide.

J’ai grandi dans la terreur. Dans l’insécurité. Il n’y avait pas autour de moi d’autres personnes qui m’inspire la sécurité.

Lui c’était le pire évidement. Les conséquences pouvaient être terribles si je le contredisais ou ne le satisfaisais pas.

Et autour il n’y avait rien. Les autres étaient tout autant pris dans la tyrannie. Les autres aussi étaient des coquilles vides.

Alors j’ai grandi seule. Terrorisée. Moins que rien. Vide.

Depuis que je suis née ça a commencé.

La première fois qu’un adulte m’a envoyé voir un psy j’avais 2 ans et demi. 2 ans et demi et déjà tout abîmée.

Et les années ont passées.

J’ai continué à vivre sous le même toit que ce dictateur jusqu’à l’âge de 19 ans.

Les agressions ont donc évidemment continué à avoir lieu.

Les dévalorisations, les attouchements, les remontrances, les cris. La violence.

Aujourd’hui, j’ai 32 ans. Et je suis toujours toute abîmée. J’ai beaucoup travaillé pour survivre.

J’ai passé des heures, des euros et des dollards en thérapie. J’ai appris à me connaître, à me comprendre, à découvrir mes émotions et mes besoins.

Mais je me sens toujours toute croche. Je me sens toujours pourrie de l’intérieur.

Cette pourriture qui a été imprégnée en moi depuis le jour de ma naissance est toujours là.

Et je crois qu’elle sera toujours là.

L’insécurité est toujours là.

La grande difficulté à faire confiance est toujours là.

La honte et la culpabilité sont toujours là.

La dévalorisation est toujours là.

Alors comment je fais?

Comment je fais pour avoir une relation amoureuse saine ?

Comment je fais pour accepter qu’on me touche ?

Comment je fais pour croire que quelqu’un m’aime sans qu’ielle ne veuille abuser de moi ?

Comment je fais pour ne pas être seule ?

Être avec des gens m’agresse. Parce que je suis blessée.

Je suis une coquille vide pleine de cicatrices.

Les mots me déclenchent = me réveillent mes cicatrices, me font souffrir.

Les gens parlent de leurs familles, où les membres semblent se respecter et se parler. Ça me déclenche.

Les gens parlent de leurs relations amoureuses. Ça me déclenche.

Les gens disent le mot « soeur ». Ça me déclenche. Cela me rappelle celle que je n’ai jamais eu et dont j’ai tant rêvé. Celle qui m’aurait aimée, qui m’aurait protégée, qui m’aurait respectée, qui m’aurait câlinée sans insanité, celle avec qui je me serais sentie en sécurité.

Comment je fais pour panser mes blessures ?

Comment je fais pour apaiser la colère ?

Comment je fais pour accepter ?

Comment je fais pour arrêter la déprime ?

Comment je fais pour contrôler les angoisses ?


Il y a le passé. S’il pouvait rester dans le passé ça serait parfait, ça serait simple. Mais ce qui a été infligé à mon corps et mon esprit dans le passé continue à résonner aujourd’hui. Comment je fais pour que ça résonne moins fort ?

Le tyran est sorti de ma vie. Je l’ai sorti de ma vie. Et pourtant, j’ai toujours peur.

Réaliser les blessures qu’il m’a infligées est une terrible souffrance.

Réaliser que donc je n’ai pas eu de père en est une autre.

Je n’ai pas eu de paroles encourageantes.

Je n’ai pas eu la confiance ou la fierté d’un père.

Je n’ai pas eu un câlin affectueux.

Je n’ai pas eu un papa.

J’ai eu un tyran.

Il y a le vide de ce que je n’ai pas eu.

Ce vide est rempli de pourriture.

Râcler toute cette pourriture et la remplacer par du bon est un travail colossal.

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