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Photo du rédacteurjulia speaks

PLONGEON

Avant mon départ au Québec, les gens me posaient souvent LA question :

« Pourquoi pars-tu au Québec ? ».

J’avais de la difficulté à trouver la réponse. Justement parce qu’il n’y avait pas une réponse.

Alors je variais la réponse en fonction de qui me demandait et comment il ou elle me demandait.

Y a ceulles qui me demandaient si j’avais trouvé un travail là-bas. Je leur disais que non mais ne vous inquiétez pas quand même je pars avec des contacts que des ami-e-s m’ont donnés. Histoire de dire que je ne partais pas complètement à l’aveugle, quand même !

Y a ceulles à qui je pouvais dire « je pars à la rencontre ». Y a les québecois et les québecoises que j’ai envie de rencontrer. J’ai entendu du bien de ces gens-là !

Y a ceulles qui me disaient « mais tu pars toute seule ? ». Je leur disais oui c’est mon rêve à moi, je ne souhaite pas attendre pour le réaliser.

Et pis y en a certain.es avec qui je pouvais être entièrement sincère : j’ai juste l’instinct qu’il faut que j’y aille, je le sens, j’en ai envie, c’est aussi simple que ça. C’est tout.

Et oui je pars à la rencontre.

À la rencontre de moi-même.


Et en parcourant mon chemin ici je me suis rendu compte qu’il y avait foule d’autres réponses à la fameuse question « Pourquoi pars-tu au Québec ?».

J’en sélectionne ici 2 principales :

D’une part, il me fallait mettre de la distance entre moi et ma famille. Je me suis dit que 5000km + un océan c’est pas pire !

D’autre part, il me fallait pouvoir parler ma langue maternelle.

D’abord pour apprendre et comprendre les sens précis des mots féminisme, patriarcat, hétéro-normativité et j’en passe.

Ensuite, parce qu’ici j’ai appris à prononcer des mots dans ma propre langue.

Des mots que je n’avais jamais osé prononcer avant,

des mots bien trop tabous pour pouvoir les prononcer.

Le premier que j’ai appris à dire était un mot relativement tabou.

J’ai appris à prononcer le mot viol. Quand je dis appris à prononcer, c’est réel, je n’arrivai pas à prononcer ce mot. Je trouvais toujours un moyen d’en utiliser un autre, ou une périphrase voulant dire plus ou moins la même chose. Ou alors à la limite je pouvais l’écrire mais jamais le dire à voix haute.

Ça m’a pris du temps et des crises pour parvenir à le prononcer sans frissonner. Pour apprendre à me l’approprier.

Puis j’ai appris à dire un autre mot. Un mot qui ne m’avait pas vraiment traversé l’esprit avant.

J’ai appris à prononcer le mot inceste.

Il est beaucoup moins facile à caser dans une conversation celui-là.

Il fait encore plus frissonner que l’autre.

Et il va pourtant falloir que je vive avec ce mot toute la vie qui me reste à vivre.

Vivre.

Là est toute la différence.

Car en apprenant à prononcer ces mots, j’apprends aussi à vivre, et non plus à survivre.


J’ai été victime. Je suis une survivante. Je vis.

Avril 2020

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